Voyage en Namibie, Jour 15

30/09/2022

Parfois, dans la vie, il arrive des incidents inattendus, des coups durs, qui remettent en cause ce que l'on avait prévu, notre voyage, notre vie. Et souvent, grâce à cela, des opportunités arrivent, quelques heures, jours ou mois plus tard. C'est ce qui m'est arrivé durant mon roadtrip en Namibie, lors de la 15ème journée. Je vais vous raconter ce qui s'est passé. Et comment cela m'a permis de faire cette photographie exceptionnelle (tu peux l'acheter sur mon site !).

Les coups durs peuvent être source d'opportunités...

29 Juillet 2019, 3 h 30.

Quelque part dans l'extrême sud de la Namibie.

Il fait nuit noire. Je me réveille dans ma tente, celle que j'ai plantée ici, hier, non loin de la frontière de l'Afrique du Sud, dans une ferme de Namibie, avec la permission des propriétaires. Mes tapis de sol me protègent maigrement des épreuves du sol sec, dur, désertique. Pendant plus de trois heures, j'essaye de me rendormir, à coup d'exercices de cohérence cardiaque, une méthode de respiration permettant de mieux gérer le stress, et parfois de se rendormir plus facilement. Mais aujourd'hui, rien n'y fait. Le verre de vin bu au dîner, en compagnie de mes hôtes qui m'ont accueilli avec bienveillance et curiosité, me joue des tours. La fin de mes bonnes habitudes, je les paye cash, c'est rude.

7 h 30. Le jour se lève. Doucement. Le soleil se teinte de ses irrésistibles couleurs jaune orangé et je fais un cliché en sortant de ma tente. Je me sens bien malgré mon réveil précoce. J'ai hâte de repartir à l'aventure sur les pistes namibiennes pour explorer, découvrir ce pays fascinant où tu peux rouler plusieurs centaines de kilomètres sans jamais croiser une habitation ni une âme. Mais avant cela, j'ai envie de reconnecter avec ceux qui m'ont accueilli ici, avec aisance, simplicité et décontraction, comme une évidence.

En m'approchant des bâtiments de la ferme, sorte de melting-pot rustique où se mêle bois, acier, plastique et béton, je croise George, le proprio, un homme de taille moyenne, mais solide, large, avec un cou épais et une grosse moustache, qui m'accueille avec un large sourire en me demandant si j'ai bien dormi, si je suis en forme ? Je n'ose pas lui faire la blague « en forme de quoi ? » Elle ne doit pas fonctionner en Anglais, me dis-je. Il me demande si j'ai envie de prendre une douche, si je souhaite l'accompagner pour le petit déjeuner.

 Décidément, j'ai de la chance, j'ai encore touché le gros lot ! Ils sont vraiment sympas dans ce pays où il n'y a presque rien.

Ann, sa femme, une petite blonde décolorée, aux yeux noirs et espiègles, avec un gros nez, habillée d'un gilet blanc très cintré, prépare le petit déjeuner dans la cuisine en compagnie de la servante, pendant que je tente d'extraire toute la poussière qui envahit tous mes orifices (non, pas celui-là :) depuis le premier jour de mon voyage. Une douche en plein désert, c'est le luxe ! Ici, il n'y a pas l'eau courante. L'eau est pompée très profondément dans le sol, m'explique George, tandis que les effluves des pancakes et des omelettes envahissent l'atmosphère. Elle ne contient pas de chlore, n'est pas traitée, elle juste un peu soufrée... Je peux en témoigner ! Un sale goût en vérité... mais eux sont habitués ! Ma grimace fait sourire George. Il me dit qu'elle très bonne pour la santé. Je ne sais pas si c'est la vérité, mais avec le climat désertique et les évolutions climatiques, je me demande s'ils vont encore pouvoir survivre ici ? Et pendant combien de temps ?

Un rayon de soleil entre dans la pièce, Élisa, leur fille, une très jolie blonde, ronde, souriante, joyeuse, yeux foncés également, qui porte des habits épais en coton blanc et vert pâle, ainsi que grosses lunettes de soleil posées sur une casquette blanche solidement ancrée sur le crâne. Leur fils, un solide gaillard de plus d'un mètre quatre-vingt, yeux bleus, cheveux courts, arbore une tenue militaire claire, celle que l'on voit dans les déserts. Il s'apprête à partir pour la chasse à l'Oryx, me dit-il fièrement avec la banane sur le visage. Il est très curieux, me pose encore mille questions, sur mon voyage en solitaire en Namibie, la France... Au cours de la discussion, il me confie que nous sommes très connus pour être un peuple qui se plaint tout le temps. Penser que 60 millions de personnes pensent et agissent tous de la même façon, n'est-ce pas être victime du biais cognitif de la généralisation ? Est-il possible qu'il puisse confondre être plaintif et être insoumis ? Après tout, la première grande révolution, c'est nous, non ? Bon, en même temps, il n'a pas tout à fait tort... On a presque tous été formatés comme cela depuis tout petit. Mais le jour où la majorité d'entre nous se rendra compte que l'on est verni, on sera devenu plus conscient, lucide et béni.

Je passe un merveilleux moment avec eux, et j'ai grand mal à partir. Vers 8 h 45, je fais un selfie avec chacun et chacune, puis leur laisse une de mes cartes postales en souvenir, en guise remerciements pour leur hospitalité. C'est peu de chose, mais c'est déjà quelque chose. Pendant que nous échangeons nos e-mails, George me demande si j'ai tout ce qu'il me faut, si mes pneus sont OK ? C'est mignon, non ? On se connaît à peine et il est déjà inquiet pour moi... Merci George, pour incarner le meilleur de l'être humain, celui qui a l'amour de l'humanité.

 Peu importe que tu connaisses la personne où non, tu es programmé depuis ta naissance pour aider et aimer...

Je monte en voiture, une petite citadine blanche, pas franchement équipée pour les pistes de gravillons et de sable. Je mets le contact démarre et tourne à gauche en direction de Aroab, un bled dans le Kalahari où il n'y a rien, m'ont-ils dit. Et j'ai 160 bornes à avaler sur les pistes ensablées pour y arriver ! 15 minutes plus tard, je crève... et je n'ai pas de roue de secours ! Juste une galette temporaire. Je suis stressé. C'est mal barré. Je vide le coffre, soulève le tapis de coffre et attrape la galette de secours. Un coup de cric, trois tours de manivelle et le tour est joué. Malgré tout, je me sens triste, frustré. J'abandonne l'idée de pousser jusqu'à Aroab. Trop dangereux. Si je crève encore et qu'il n'y a pas de roue de secours dans ce village, je vais le regretter... Je fais demi-tour, et prends la direction de Karasburg, la ville la plus proche, à plus de 80 km d'ici. Pendant plus d'une heure, je roule lentement, pas plus de 70 km/h, sur la piste remplie d'ornières où les cailloux s'alternent avec le sable. J'ai peur. De me retrouver à plat, seul, au milieu du désert. Mon mental s'en donne à cœur joie : « J'en ai marre. Je veux rentrer chez moi. Mais qu'est-ce qui t'a pris de venir ici ? Ce voyage, c'est vraiment le bazar. » Je me plains... mais je l'ai choisi de venir ici...

Bref, je respire et laisser passer les courants d'air, ceux de la voiture et de mon cerveau réfractaire. Au bout de 70 kilomètres, je devine la ville, au loin. Elle se rapproche tout doucement. Sur le côté gauche de la piste, j'aperçois un homme malingre, à la peau et aux yeux noirs, le pouce levé. Mais que fait-il ici, seul au milieu de nulle part ? Je m'arrête. Il s'appelle Daion. Il profite de l'absence de son boss pour aller en ville et voir sa famille, me confie-t-il. Comptait-il faire les 10 kilomètres à pied ? Parce que les voitures sont franchement rares ici... Il travaille dans quoi ? Et où ? Il n'y a rien ici ! Tiens, amusant, il est de Aorab. Il me confirme que c'est une petite ville, mais les gens sont gentils, me dit-il, pas comme ceux habitants à Karasburg. Ils boivent et conduisent sans permis, rajoute-t-il. Pas fait pour me rassurer tout cela... Maintenant, j'en connais qui en font autant en France ! Je lui parle de mon problème de pneu. Et il s'en occupe direct ! Il est investi d'une mission : me tirer de ce faux pas.

Je vous avais prévenu, les gens sont sympas ici :)

Nous arrivons à l'entrée de la ville. Je le dépose et vais jusqu'au garage qu'il m'a indiqué. Mauvaise pioche. Pas de pneu à ma taille. Second garage. Rebelote. Il me propose soit de prendre un pneu même si ce n'est pas le bon format, soit d'aller dans une autre ville. La galère continue... Je sors de l'établissement, prends un moment pour avoir les idées claires, et téléphone à la société qui m'a loué le véhicule. Ils me conseillent d'aller jusqu'à Keetmanshoop, pour augmenter mes chances de trouver le bon pneu. C'est à plus de 200 kilomètres d'ici ! Et me voilà parti pour un long périple sur les routes bitumées namibiennes, à faible allure. Au bout de 50 bornes, j'arrive à Grünau, un minuscule bled où je suis passé hier. J'aperçois un garage. Je m'arrête. Fred, un solide gaillard doté d'une grosse barbe, habillé d'une salopette bleue et d'un tee-shirt blanc maculé de graisse, m'accueille avec bienveillance et fait le maximum pour trouver une solution. Il n'a pas la bonne taille de pneu, lui non plus... alors il regarde s'il ne peut pas réparer le mien, puis attrape son téléphone et m'informe qu'il en a trouvé un, un pneu. Il me tend un morceau de papier avec un numéro de téléphone et une adresse... à Keetmanshop.

Merci Fred pour ton accueil et ton dévouement !

Il est 13 h, je mange un morceau sur le parking, puis repars pour un périple de 170 kilomètres, en roulant à faible allure, sur la galette de secours. Ce n'est pas vraiment ce que j'avais prévu comme journée ! Il fait chaud, les routes rectilignes s'étendent devant moi, à perte de vue, la voiture roule lentement et je trouve le temps long. C'est monotone et fastidieux. Rien à voir de part et d'autre du goudron, juste du sable, des roches et quelques maigres bosquets desséchés. Et puis, parfois une surprise arrive, une montagne sombre au loin qui s'approche, quelques arbustes presque verts, dont on se demande comment ils font pour pousser dans cet endroit où il ne pleut quasiment jamais. Plus que 15km, j'aperçois la ville, au loin. Je n'en peux plus. J'entre dans la bourgade en suivant le plan que Fred m'a dessiné. Je me paume ! Demande à un gamin s'il connaît l'adresse, et me rend compte que je suis jute à côté. Il est 15 h 20. J'entre chez Tire 2000, façade jaune et blanche, et Bill, un homme blanc, aux yeux clairs et à la peau laiteuse remplie de taches de rousseur, me reçoit assis sur son siège au cuir craquelé en me demandant d'écrire mon nom sur un formulaire. Il lit. Me demande comment cela se prononce. J'obtempère. Il sourit. Pendant qu'un de ses employés prend charge mon véhicule, nous échangeons quelques mots. Bill le surveille de près, très près. Je n'aimerais pas être à sa place...

Quinze minutes plus tard, je sors du garage, après avoir filé 10 balles de pourboire au mécano, et me gare quelques blocs plus loin, dans un quartier effervescent. Je fais quelques courses dans un supermarché, puis reviens à la voiture. Un môme me demande de l'argent, de nettoyer mon pare-brise. Il est crade. Je n'ai pas envie qu'il m'approche. Je suis fatigué, de mauvaise humeur, les 6 heures de route m'ont rincé. Trop de fureur, trop de bruit ici. J'éconduis gentiment le marmot et remonte à bord. Je tente de sortir de la ville, sans savoir où je suis ni où aller.

Combien de temps vais-je encore galérer ?

16 h 35. Un panneau sur ma gauche : Garas Park, entrée du camping. Je ne sais pas si c'est une bonne idée, mais j'y vais ! Je pénètre lentement dans ce lieu où le chemin serpente entre de grosses roches. L'accueil est folklo. La déco originale. Des fabrications artisanales un peu partout. Je remplis le formulaire que me tend Jonas et paye les 140 dollars pour la nuit. Puis vais choisir un emplacement. Je n'ai que l'embarras du choix, il n'y a que moi ! Juste un morceau de terre ocre et un barbecue de pierre non loin, c'est tout. Mais devine quoi ? Ce parc est somptueux ! Il est rempli de monstrueuses roches et de quiver-trees, des arbres à carquois, des espèces endémiques en Afrique Australe qui peuvent atteindre 8 mètres de haut ! En une fraction de seconde, j'oublie tout, la fatigue, le stress... et part à la chasse. Aux images ! C'est magnifique. Je ne sais pas où donner de la tête. Je m'éclate total ! Et pour terminer, sans tout te raconter, je suis revenu pour planter ma tente, faire ma lessive, me doucher, puis suis reparti à la nuit tombée, pour chasser.

Ce jour-là, toutes les planètes étaient parfaitement alignées pour que je sois ici, et non à Aorab, pour qu'un puissant projecteur du camping envoie une douce lumière sur l'arbre à carquois, pour que je puisse revenir avec de nombreuses images incroyables, pour que je puisse vous raconter cette histoire, vous partager ce magnifique cliché, ce moment inoubliable où un dialogue s'est établi entre lui et moi.

Merci la vie pour ce pneu qui a cédé. Merci de m'avoir fait galérer toute la journée. Merci pour cette opportunité qui s'est présentée.

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